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En cette banale fin d'après-midi d'hiver, le soleil se laissa paresseusement sombrer derrière les hautes collines d'Évora. Pendant de longues minutes, il colora le ciel d'une magnifique lumière écarlate, puis disparut en entraînant dans son sillage une chute brutale des températures. Cette année, la saison froide se révélait particulièrement rigoureuse ; depuis des semaines, neige et glace recouvraient le sol, rendant difficiles les trajets entre villages.
Niché au sommet d'une des collines, le monastère de la Compassion d'Alhéna abritait en son sein une petite communauté de prêtres qui partageaient leur temps entre prières, travaux dans les champs et enseignement auprès des novices. Le Grand Prêtre, qui gérait sa confrérie avec sagesse, avait dès l'été anticipé ce rude hiver en remplissant les greniers de nombreuses réserves de nourriture.
Chaque année, les élèves s'étonnaient de la facilité avec laquelle il prévoyait les tendances de la saison à venir. Plus d'une fois, il avait senti l'arrivée d'un été particulièrement sec, ou bien d'un printemps pluvieux capable d'inonder les champs et de gâter les récoltes. Il avait toujours pris les bonnes mesures avant que mère nature ne décide de rendre la vie des hommes plus difficile.
Si chaque prêtre et chaque novice le respectaient, très peu d'entre eux savaient qui était en réalité Alnac Kreb, fondateur et Grand Prêtre de la Compassion d'Alhéna. Ses cheveux gris et son visage parcheminé par le temps laissaient à penser qu'il avait toujours vécu au sein d'une communauté religieuse, mais lorsqu'il remontait ses manches pour aider, malgré son âge, aux divers travaux, alors on pouvait voir quelques cicatrices sur ses bras, vestiges d'un passé bien mystérieux.
Tandis que la nuit venait définitivement de tomber, Dened alluma une bougie pour s'éclairer. Depuis qu'il avait intégré le monastère sur ordre de ses parents, le garçon, du haut de ses douze ans, avait souvent prouvé à ses professeurs qu'il possédait une remarquable aptitude à désobéir. De nombreuses punitions lui avaient déjà été infligées, mais celle qu'il exécutait ce soir-là incarnait, de son point de vue, la pire de toutes. Ranger et classer de vieux manuscrits dans la salle des archives, sûrement la pièce la plus poussiéreuse de tous les bâtiments de la communauté, quoi de plus barbant pour un gamin de son âge ! Sans compter que, par une terrible malchance, la personne chargée de le surveiller n'était autre que frère Embert !
Pointilleux, intransigeant et d'un âge avancé, ce dernier, debout devant un lutrin situé au fond de la pièce, relevait régulièrement le nez du manuscrit qu'il étudiait pour vérifier que son élève exécutait correctement sa punition.
Tout en pestant intérieurement et en espérant terminer au plus vite sa tâche ingrate, Dened laissa malencontreusement tomber plusieurs petits carnets coincés entre deux gros livres qu'il venait de prendre d'une des piles à ranger. Il se pencha pour les ramasser et constata que l'un d'entre eux s'était ouvert. Une fine écriture recouvrait les pages parcheminées, ainsi que quelques dessins effectués à la plume.
Le garçon jeta un rapide coup d'œil à son surveillant. Ce dernier, plongé dans la lecture d'un passage particulièrement captivant, semblait l'avoir provisoirement oublié. Dened s'accroupit alors pour ramasser le carnet ouvert et le parcourut du regard. Intrigué, il tourna plusieurs pages, ses yeux s'écarquillant au fur et à mesure qu'il en découvrait le contenu. Voulant en savoir d'avantage, il revint au tout début du manuscrit et sa bouche forma aussitôt un « oh ! » muet d'étonnement en lisant le titre : les carnets de route d'Alnac Kreb.